
Les salariés peuvent-ils imposer et invoquer des prescriptions religieuses sur le lieu de travail ?
C'est une question que les employeurs se posent de plus en plus. Alors, en termes de religion, quels sont les droits de chacun ?
Service public : respecter le principe de laïcité
Laïcité : un principe ancien
Le principe de laïcité dans les services publics est régi par la loi depuis près de 60 ans :
- En effet, c'est la Constitution Française de 1958 qui l'a posé.
- Il impose la séparation juridique de l’Église et de l’État.
- Par conséquent, l'État doit toujours préserver sa liberté de conscience et son droit d'exprimer des convictions indépendamment de toute considération religieuse.
En fait, dans les services publics, la réglementation de l'expression religieuse des salariés est encore plus ancienne :
- Une loi de 1905 impose en effet aux salariés une stricte neutralité à l'égard de leurs croyances et opinions religieuses.
- Ainsi, un agent public ne peut manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions.
Des aménagements récents
Suite à de nombreuses revendications et conflits, des aménagements ont été faits au sein du principe de laïcité :
- Ainsi, la circulaire du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics autorise les agents publics à s'absenter « pour participer à une fête religieuse ».
- Toutefois, ces absences doivent impérativement être « compatibles avec les nécessités de fonctionnement normal du service ».
Religion et entreprises privées : quelles règles ?
Le principe de laïcité ne s'applique normalement pas aux entreprises privées :- Ainsi, le Code du travail précise que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir [...] » (article L. 1121-1).
- En outre, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a refusé, en octobre 2013, d'étendre le principe de laïcité aux entreprises privées.
Toutefois, cela ne signifie pas que les salariés peuvent imposer leurs convictions religieuses sans limites :
- Le Code du travail lui-même (articles L. 1121-1 et L. 1321-3) autorise l'employeur à restreindre la liberté du salarié si son comportement gêne l'accomplissement des tâches pour lesquelles il est sollicité. Ces limitations doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
- Le règlement intérieur peut également apporter des restrictions à cette liberté :
- C'est ce qui a créé une controverse en 2008, lorsque la crèche Baby Loup a licencié une de ses employées parce qu'elle portait le voile.
- La direction jugeait en effet ce signe religieux contraire au règlement intérieur, qui imposait aux employés de respecter le principe de laïcité.
- S'en est suivie une lutte entre la Cour de cassation et la cour d'appel, la première jugeant la restriction « générale et imprécise », donc invalide.
- La justice a fini par donner raison à la crèche.
Cette solution a été consacrée par la loi Travail du 8 août 2016, dans l'article L. 1321-2-1 du Code du travail : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Bon à savoir : la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) rappelle que « le salarié ne peut invoquer des prescriptions religieuses pour refuser d’exécuter tout ou partie de ses missions contractuelles ou pour se soustraire à ses obligations légales et réglementaires ».
Dans deux arrêts du 14 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur le sujet. Selon la CJUE, « l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée […] ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions ». Elle ne constitue pas non plus de discrimination indirecte à condition que cette interdiction soit légitime (qu'elle s'applique par exemple seulement aux personnes en contact avec la clientèle), strictement nécessaire et appliquée de manière systématique. Ainsi :
- une entreprise, dans son règlement intérieur, peut interdire à ses employés en contact avec la clientèle de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses et d’accomplir tout rite afférent à ces convictions (premier arrêt) ;
- un salarié ne peut pas être licencié en raison du souhait d'un client de ne plus voir les prestations de service assurées par un salarié portant un foulard (deuxième arrêt).
Dans un arrêt du 22 novembre 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation prend acte de la position de la CJUE et confirme qu'une entreprise privée peut interdire le port de signes religieux aux salariés en contact avec la clientèle, à condition de l'inscrire dans son règlement intérieur, dans un objectif légitime et non discriminatoire, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855).
À noter : la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a instauré un nouveau rescrit concernant le contenu du règlement intérieur. En cas de doute sur la conformité des dispositions du règlement intérieur avec les règles légales, il est possible d'interroger l'inspecteur du travail. Cette décision sera alors opposable à l'inspection du travail (article L. 1322-1-1 du Code du travail).
Pour approfondir la question :
- Un employeur se doit de faire respecter le règlement intérieur de son entreprise. Toutefois, cela ne doit pas aller jusqu'au harcèlement moral ou à la discrimination.
- Certains motifs de licenciement relèvent de la discrimination ou de l'abus et sont interdits par la loi. En cas de doute, demandez conseil à la juridiction compétente.
- En cas de licenciement abusif, vous pouvez saisir le conseil des Prud'hommes. Pour cela, vous devrez constituer un dossier. Consultez nos fiches pratiques Déposer une demande de saisine du Conseil des Prud'hommes et Réunir les documents nécessaires pour saisir le conseil des Prud'hommes.